jueves, 29 de septiembre de 2011

La dérive du sandinisme

(À quelques semaines des élections au Nicaragua et dans un contexte d'étouffement politique de la part du FSLN, je partage cet article paru dans l'édition d'octobre-novembre 2010 dans la revue Relations publiée par le Centre Justice et Foi à Montréal, Québec)

En Amérique latine
, les gouvernements en place sont souvent analysés à partir de la dichotomie démocratie-autoritarisme. C’est un lieu commun. Mais on oublie que la démocratie est constituée de rapports de pouvoir qui se construisent à travers le temps. Dans le cas du Nicaragua, cet aspect est très marquant puisque le pays est l’héritier d’un passé révolutionnaire et d’une guerre dévastatrice menée par les États-Unis. Quelles sont, en effet, les possibilités de démocratisation dans un tel contexte? Plus important encore, comment les différentes forces politiques, et particulièrement le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), ont-elles exercé le pouvoir depuis la révolution?

Le FSLN a joué un grand rôle, comme on le sait, dans la révolution qui a triomphé et chassé, en 1979, la famille Somoza qui avait imposé sa dictature au pays pendant plus de quarante ans. Il s’agissait d’une véritable révolte populaire menée à terme par le Front et diverses forces sociales et politiques, qui a ouvert la porte à un changement d’époque, car ce pays donnait enfin un futur à une vaste majorité de la population. Ce processus politique s’est renouvelé par le vote qui portera à la présidence le chef du FSLN, Daniel Ortega, lors des premières élections libres, en 1984. Le gouvernement faisait alors face à l’offensive armée de la guérilla contre-révolutionnaire – les Contras – soutenue par les États-Unis, qui visait à saboter le projet d’une « démocratie directe » porté par le FSLN. Mais on peut se demander que pouvait bien signifier une « démocratie directe » dans un contexte de guerre.

L’ère néolibérale

En 1990, le FSLN perd les élections, en grande partie à cause de cet effort de guerre qui avait drainé toutes les ressources et court-circuité les réformes sociales et économiques. La décennie qui s’ensuivra, années dites de la pacification, sera caractérisée par un pacte de silence au sujet des violences commises lors du conflit armé. Le FSLN se retrouve alors à la croisée des chemins : soit tenter une reconstitution du mouvement populaire affaibli par la guerre, cette fois-ci dans un contexte de paix et sans élément de ralliement tel la résistance à la dictature somoziste, soit suivre le cours de la politique traditionnelle propre à une démocratie formelle, et ainsi se tailler une place dans la nouvelle recomposition des forces politiques, évitant sa disparition. C’est cette dernière avenue qu’empruntera le Front.

C’est alors que se produisit ce qui est connu sous le nom de piñata : les principaux sandinistes liés au pouvoir central s’approprièrent les propriétés et les biens publics, juste avant la passation du pouvoir. Cette acquisition illégitime, qui annonce la « désandinisation » du FSLN, a eu un effet dévastateur au sein de la population qui soutenait son projet révolutionnaire.

La nouvelle présidente soutenue par les États-Unis, Violeta Barrios de Chamorro (1990-1997), s’engage alors dans un processus de libéralisation économique imposé par les institutions financières internationales, amorçant la période néolibérale qui entraîna une importante dégradation des conditions de travail. D’un État qui se préoccupait du sort des travailleurs, on est passé à celui qui en fait fi. Il suffit d’évoquer les maquiladoras. Les différents gouvernements qui se sont succédés jusqu’à présent ont fait peu de choses pour remédier à la situation.

En effet, sous le gouvernement d’Arnoldo Alemán (1997-2001) du Parti libéral constitutionnaliste (PLC), la dynamique néolibérale se déploie entre autres dans le projet Nueva Managua. Ce projet de réaménagement urbain livre la capitale, Managua, aux mains de l’élite nicaraguayenne qui choisit, afin d’échapper aux pauvres, de cloisonner la ville plutôt que de se retirer.

C’est sous ce même gouvernement que se réalisera un pacte entre le PLC et le FSLN, principale force d’opposition. Mettant à profit leur condition de majorité au sein de l’Assemblée nationale, les deux formations politiques se répartissent les principaux organes de l’État – Cour suprême de Justice (CSJ), Conseil suprême électoral (CSE), Conseil du vérificateur général de l’État –, ouvrant ainsi la porte au copinage. De plus, le pacte légalise les acquisitions frauduleuses effectuées lors de la piñata et ouvre la voie à une réforme constitutionnelle qui perpétuerait la présence de ces deux partis au pouvoir. C’est dans ces conditions qu’Enrique Bolaños (2001-2006), du PLC, a été élu et que le chef du FSLN, Daniel Ortega, sera porté au pouvoir lors des élections présidentielles de 2006.

Les nouveaux habits du FSLN

Le FSLN envoie ainsi des signaux clairs quant à sa façon d’appréhender le pouvoir. Certains analystes estiment qu’il a subi une transformation qui serait incomplète. En effet, s’il a très bien su s’intégrer dans une démocratie compétitive, il a cependant raté son coup en ce qui concerne le renouvellement de sa direction. Il faut noter que la fondation du Mouvement de rénovation sandiniste (MRS), en 1996, provoquant une scission au sein du FSLN, videra ce parti de ses principaux cadres qui auraient pu succéder à Daniel Ortega. Dorénavant, au nom de la « réconciliation nationale », le Front s’allie avec des secteurs autrefois radicalement opposés à lui, telle l’Église catholique en la figure du cardinal Miguel Obando, l’archevêque très conservateur de Managua.

Cette dynamique de ruptures et de nouvelles alliances caractérise le début du second gouvernement du FSLN, qui a su exploiter l’héritage révolutionnaire dans un contexte de « virage à gauche » en Amérique latine avec, entre autres, l’élection de Hugo Chavez au Venezuela et d’Evo Morales en Bolivie. Cela n’est pas sans soulever d’importants problèmes. Profitant d’une réforme électorale fondée sur le « pacte » PLC-FLSN, le Front s’est carrément emparé du pouvoir et gouverne depuis en vase clos. Sa base sociale se résume à ce qu’on appelle les Conseils du pouvoir citoyen, qui fonctionnent sur un mode strictement clientéliste, fermement soutenus par des programmes sociaux ciblés. Signalons toutefois que certains programmes tels que « Faim Zéro » et « Oui, je peux lire! » ont contribué à atténuer quelque peu la famine dans les régions rurales du pays ainsi qu’à diminuer l’analphabétisme.

Cette façon de gouverner ne s’appuie donc pas sur un mouvement social démocratique et populaire comme l’affirment pompeusement les « sandinistes » au pouvoir. En réalité, l’arrimage du Nicaragua au « virage à gauche » de ses voisins tient surtout à son alliance avec le gouvernement vénézuélien qui soutient financièrement son Plan national de développement. En 2008, le Nicaragua a reçu 300 millions $ US du Venezuela, ce qui n’a pas manqué de soulever des questionnements de la part de l’opposition au sujet de la transparence dans la gestion de ces fonds.

Confusion entre public et privé

À l’approche des élections présidentielles de 2011, tout indique que le contrôle, par le FLSN, des institutions telles que la CSJ et le CSE est stratégique en vue de sa réélection. Cela permet ainsi aux opposants du régime de caricaturer la situation politique du pays en faisant l’équation « changement » (slogan électoral des sandinistes) égale réélection. Chose certaine, on est loin des importantes mobilisations et luttes continuelles qui ont permis de réinventer l’exercice politique en Bolivie, par exemple, et qui ne visent pas exclusivement la conquête du pouvoir coûte que coûte.

Pourtant, la question de la démocratisation dans la région centraméricaine n’est pas nouvelle. En 1986, les négociations d’Esquipulas entre les présidents d’Amérique centrale avaient ouvert la voie à des changements politiques et socio-économiques. La dimension sociale a toutefois été renvoyée aux calendes grecques au profit des réformes centrées sur le marché. En 1998, le désastre causé par l’ouragan Mitch a relancé la discussion sur cette problématique, mais elle est restée sans lendemain. Au Nicaragua, les rapports de pouvoir d’ordre clientéliste et partisan qu’a établis le FSLN rendent confuses les relations entre le public et le privé et, surtout, entre la société civile et les institutions gouvernementales. Le second mandat d’Ortega portera cette confusion à son comble, si on se fie à la campagne électorale où copinage rime avec révolution et « pacte ».

Pour l’instant, le changement politique passe par une recomposition de l’opposition, mais de toute évidence celle-ci mettra du temps, la participation politique des secteurs populaires dans un contexte si inégalitaire posant problème. Avec une opposition qui recouvre un spectre allant des factions libérales qui disputent le pouvoir à Alemán aux organisations se réclamant du sandinisme, tel le MRS, en passant par de multiples acteurs de la société civile, on comprend vite que l’unité n’est pas pour demain. Le défi est donc de taille afin d’aller au-delà d’une mise en scène « révolutionnaire ».


MALPICA RAMOS, Eduardo. "La dérive du sandinisme", Relations, pp. 32-33, octobre-novembre 2010.

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