domingo, 14 de febrero de 2010

Des marchandises et des roses...

Aujourd'hui, on parle de la fête de Saint-Valentin. Les restaurants pleins à craquer, les fleuristes débordés, les magasins décorés avec des cupidons et des coeurs, tout ça pour l'être cher, l'être aimé... On ne peut pas certes discuter de la façon dont on aime. Toutefois, on peut réfléchir sur la "valeur" de cet amour et ses implications réelles dans la vie des gens. Je reprends ici un communiqué du Comité pour les droits humains en Amérique latine sur la JOURNÉE INTERNATIONALE DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS DES FLEURS. Il y est question de la situation précaire des conditions de travail prévalant dans ce business très lucratif lors de ces "fêtes". Enfin, il ne s'agit pas juste d'y penser, car on peut mener aussi des actions mettant l'emphase sur le fait que derrière ces relations marchandes, il y a un échange inégal qui se fait au détriment de la vie et de la dignité des centaines de travailleuses et travailleurs dans le Sud et que fréquemment les fêtes au calendrier sont des moments propices à l'exacerbation de la consommation.

Pour avoir quelques idées sur des actions concrètes, cliquez ici

JOURNÉE INTERNATIONALE DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS DES FLEURS

Depuis 2002, le 14 février est consacré en Colombie comme la Journée
internationale des travailleuses et travailleurs des fleurs. Elle n'apparaît pas
encore dans les calendriers et n'est célébrée que par quelques organisations de
la Colombie, de l'Équateur, du Canada, des États-Unis, des Pays-Bas et de
l'Allemagne, mais elle soulève une histoire importante en cette journée mieux
connue comme la Saint-Valentin, l'histoire de centaines de milliers de
travailleurs à travers le monde qui, œuvrant dans des conditions difficiles et
dangereuses, permettent aux exportateurs, distributeurs et fleuristes
d'enregistrer leurs plus gros profits de l'année en offrant aux amoureux
d'Europe et d'Amérique du Nord le plaisir de s'offrir ces fleurs d'une
incroyable beauté.

Le Comité pour les droits humains en Amérique latine, fondé en 1976 et basé à Montréal, mène campagne depuis quatre ans en faveur du respect des normes du travail et du respect du droit à la libre association dans l'industrie de la floriculture d'exportation en Amérique latine. Son principal partenaire, la Corporation Cactus, basé à Bogotá en Colombie est aussi l'instigateur de la Journée internationales des travailleuses et travailleurs des fleurs que le CDHAL souligne aussi au Québec par différentes activités de sensibilisation. La Colombie est le deuxième exportateur de fleurs dans le monde après les Pays-Bas. Au Canada, 50% des fleurs importées proviennent de la Colombie.

Nous invitons les médias et organisations civiles du Québec à s'intéresser à la problématique des hommes et des femmes permettant qu'existent de telles beautés chez nos fleuristes en ce 14 février. Nombreux sont les ouvriers mettant leur avenir et leur vie en danger pour la production de ce produit somptueux. Nous croyons fermement que nous avons le devoir comme médias ou organisations civiles, citoyens et consommateurs de faire connaître la problématique de ces travailleurs au grand public avec l'espoir que nos voix puissent participer à faire en sorte que leurs conditions de travail s'améliorent et que leur dur travail s'exerce dans le respect des lois, droits et libertés et même au-delà, dans le respect de leur santé et de leur dignité.

Vous trouverez sur l'onglet En savoir plus de la campagne un document de référence rempli d'informations sur cette thématique spécialement conçu pour vous. Nous sommes aussi à votre disposition pour toutes questions et toutes demandes d'entrevues. Nous pouvons, de plus, vous mettre en contact avec des organisations et travailleurs de Colombie et d'Équateur pour des entrevues.

En vous remerciant de l'intérêt que vous porterez à ce sujet.

Nos salutations cordiales,

Sarah Charland-Faucher

Responsable de la campagne et de la Journée internationale des travailleuses et travailleurs des fleurs
Comité pour les droits humains en Amérique latine
418.919.0526

Réalisatrice du documentaire À fleur de peau, un bouquet de la Colombie
http://www.afleurdepeau2009.blogspot.com/ / afleurdepeau2009@yahoo.com

martes, 9 de febrero de 2010

Droits humains, post-conflit et impunité au Pérou

Le point de vue des « affectés » par la « violence politique »

Durant les mois de septembre à novembre 2009, j’ai réalisé une étude de terrain à Ayacucho (Pérou), avec le concours de l’Office Québec-Amériques pour la Jeunesse (OQAJ). Il s’agissait pour moi de recueillir des interviews de la part des gens ayant vécu de près le « conflit interne » des années 1980-2000, qui a opposé des forces subversives (Parti Communiste du Pérou – Sentier Lumineux (PCP-SL) et le Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA)) aux forces de l’État péruvien.

J’ai pris contact avec l’Association Nationale des Familles des Séquestrés, Détenus et Disparus du Pérou (ANFASEP), ce qui m’a permis de voir comment la question du post-conflit se posait au pays de manière générale, et pour ces personnes « affectées », de manière particulière. Cet article cherche à rendre compte de l’importance de l’association dans le post-conflit ainsi que de ses luttes et de ses principaux défis.

Les racines du conflit

Le département d’Ayacucho est une région emblématique en ce qui concerne le conflit. Certes, il s’agit d’une région les plus affectées durant le conflit (selon la Commission de la Vérité et la Réconciliation (CVR), le conflit s’est soldé avec 69 000 morts, dont 40% dans cette région), mais c’est aussi là où tout a débuté. Aux élections de 1980, à Chuschi, des membres du PCP-SL ont brûlé des boîtes de scrutin pour signaler le début de la « guerre populaire ». La riposte étatique fut aussi brutale que celle des forces subversives.

Les secteurs les plus vulnérables de la société péruvienne – à savoir les paysans, d’origine indigène et parlant toujours quechua – ont été le plus durement touchés.

Pour certains, cela renvoie au « racisme » qui sévit au pays depuis les temps coloniaux. En effet, la condition postcoloniale du Pérou, dont le « racisme » est une des dimensions les plus visibles, aide à comprendre la façon dont se configure la politique dans cette société. Mais ce « racisme » n’est pas le produit d’un certain « colonialisme interne » opéré par les élites du pays. Le fait d’envisager ceci nous ferait perdre de vue qu’officiellement, les relations politiques se jouent dans un cadre dit « démocratique ». Selon le sociologue Anibal Quijano, il s’agit plutôt de la « colonialité » du pouvoir capitaliste qui réarticule sans cesse les relations sociales de pouvoir, en commençant par la politique.

Cette « colonialité » s’appuie sur l’idée de « race ». Toutefois, cette dernière n’a pas grand chose à voir avec la structure biologique de l’espèce humaine, car son histoire est liée aux transformations du capitalisme mondial, colonial/moderne et eurocentré. Il est donc plutôt question d’une organisation particulière du pouvoir que d’un racisme pratiqué par une race dite « supérieure » sur une autre « inférieure ». En outre, il faut ajouter une dimension idéologique : la présence du PCP-SL. En effet, les paysans, étant les premiers à être interpellés par ce groupe armé, ont été traités comme des partisans « naturels » de ce dernier.

Résistance paysanne

Ainsi, ces derniers se sont rapidement retrouvés entre deux feux. Mais il ne s’agissait pas de jouer un rôle « passif » en tant que victimes; la résistance était donc de mise. Elle prit plusieurs formes : de la résistance armée à la fuite (déplacements forcés) en passant par la mise sur pied d’organisations afin de retrouver le fils, le frère ou le mari et de dénoncer les assassinats et les disparitions forcées. C’est dans ce contexte qu’ANFASEP est fondé en 1983.

Dans un premier temps, la parenté des victimes, principalement des femmes, s’organisaient afin de dénoncer les agissements des militaires. Aujourd’hui, le PCP-SL autant que les forces armées sont la cible de dénonciations. Il reste que le noyau premier de l’organisation se concentre sur la recherche de la vérité et de l’être cher dans les casernes militaires.

À l’époque, à Ayacucho, il s’est imposé une sorte d’équation manichéenne : « ayacuchano » égalait « terroriste ». En ce sens, dans la région, ou bien on appuyait les forces armées ou bien on était membre du Sentier Lumineux. C’est cette logique qui a servi à maintenir l’impunité en ce qui a trait aux « excès » (selon les militaires) ou au « coût social » (selon les sentiéristes). Aujourd’hui, même si les membres d’ANFASEP s’entendent pour dire que « les choses ont changé dans le pays », ils constatent que chez la population, ce sens commun est toujours monnaie courante.

À cela s’ajoute toute une panoplie de discriminations, par la langue (quechua), par le manque d’éducation, parce qu’ils viennent de la campagne et qu’ils sont pauvres. C’est par cette description qu’ils essaient de comprendre pourquoi ils ne sont pas « écoutés » par le gouvernement. De manière générale, on fait une lecture de cette situation en tant que lutte pour la « mémoire ». Les principales revendications sont la justice, la vérité et la réparation.

Le rôle de l’ANFASEP

L’importance du groupe est décisive pour le mouvement des droits humains au Pérou. Ils signalent qu’une des réussites de l’association est la mise en place de la CVR en 2001 et la mise en branle de ses recommandations en 2003. Suite au dépôt du rapport final de la CVR, plusieurs organisations de la société civile se sont littéralement précipitées dessus. La coordination des efforts entre ces organisations et l’ANFASEP devient essentielle.

D’autre part, le fait que le gouvernement ait mis en place le Conseil des réparations a eu pour effet de reléguer le thème de la « justice » à un second plan, du fait de la grande complexité de la question. Pour plusieurs ONG, la promotion de la « réparation » économique est devenue la priorité. La mise en branle des procédures judiciaires devient toute une odyssée puisque cela implique d’entamer des processus bureaucratiques interminables de collecte de papiers, de témoignages et de preuves. On comprendra qu’après tant d’années de lutte, les énergies n’y soient plus pour certains, et ce, sans compter la défense serrée des militaires en cas de violations des droits humains.

Sur la question de la réparation, les membres de l’ANFASEP parlent avec un « réalisme » qui se confond avec un certain pragmatisme qui fait le jeu du pouvoir. « Depuis longtemps qu’on lutte et on n’a rien eu. Les affectés se meurent sans avoir eu une compensation quelconque, il faut qu’il y en ait une. » Pour les familles des victimes, il n’est pas question que la « réparation » se substitue à la « justice ». Le combat doit se mener sur ces deux fronts.

C’est cependant la lutte pour la « réparation économique individuelle » qui prend toute la place. On insiste ici sur les adjectifs puisque le gouvernement procède présentement, au moyen de ses agences, aux « réparations collectives ». Mais la représentation que se font les « affectés » de celles-ci est sans appel : « Une école, une poste de santé pour une communauté même affectée, ça c’est le devoir de l’État, ce n’est pas une réparation pour les affectés proprement dit. » Certains avancent toutefois qu’une des causes de la guerre ait été l’absence de l’État. Ainsi, les « réparations collectives » ne chercheraient qu’à remédier à cette situation.

Pour ce qui est des réparations individuelles, on procédait jusqu’à tout récemment au recensement des personnes affectées, mais le processus a dû être arrêté par manque de fonds. De plus, la loi n’indique pas de quelle façon les « réparations » vont se concrétiser. Pour le moment, l’État a reconnu le droit des victimes et de leur parenté à obtenir réparation, mais c’est tout. Les membres de l’association sont donc sceptiques.

En conclusion, en tenant compte de l’histoire récente du pays et des luttes des secteurs subalternisés, comme les paysans organisés au sein de l’ANFASEP, on pourrait avancer que la lutte pour les droits humains en est aussi une pour la démocratie et la citoyenneté. La question de la justice face à l’impunité reste cruciale afin d’engager un processus de réconciliation et de démocratisation. Toutefois, s’agit-il d’une démocratie politique en tant qu’égalité de droits pour tous ? De toute évidence, la question de la représentation politique ne s’épuise pas dans l’élection de représentants de certains secteurs de la société. La question de la démocratie implique d’autres enjeux, dont le type souhaité de relations sociales et les autres façons d’organiser le pouvoir. Le chemin s’avère long et difficile, mais, comme on l’a vu, la lutte pour la « mémoire » des affectés reste un patrimoine difficile à coloniser.

Cet article a paru dans l'édition Février 2010 de l'Union Libre. Le journal facultaire des étudiantes et étudiants en science politique et droit de l'UQAM.